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Animalité et conscience

 

Les animaux ont-ils une existence, une subjectivité, une conscience de soi, une intentionnalité? Les mondes animaux ressemblent-ils aux mondes humains ? Pourquoi la réponse à ces questions n’est pas si évidente si on prend la peine d’y réfléchir ? Faut-il penser l’animal comme un ensemble ou envisager d’interroger l’espèce ou l’individu ? Pourquoi est-il nécessaire d’un détour par la pensée philosophique pour aborder un sujet que les sciences de la nature et la psychologie ont longtemps ignoré ? Pourquoi après des siècles à penser ces questions n’en est-on qu’aux prémices de la connaissance de l’animalité et en quoi les réponses à ces questions pourraient elles nous permette une prise de conscience nécessaire à changer le rapport au vivant ? Peut-on enfin parler des animaux sans pour autant répondre à leur place sur ce qu’ils souhaitent devenir ? Toutes ces questions méritent bien plus que l’espace d’un article pour apporter des réponses satisfaisantes ? Essayons toutefois d’avancer quelques pistes de réflexion qui nous entrainent sur le chemin de la pensée philosophique occidentale.

« Ce qui m’importe en premier lieu ce n’est pas le scandale éthique, c’est l’expérience de l’Être, la confrontation à cette énigme ontologique qu’est la présence de l’animal. Ce dont seuls les écrivains, et surtout les poètes, savent rendre compte. Voir surgir un cerf ou s’envoler un faisan, se sentir regardé par un chien qui ne vous demande rien, apprivoiser un hérisson pour le voir vivre sa vie loin des routes, sentir le cheval qu’on monte heureux de la promenade ».

Elisabeth de Fontenay, les animaux aussi ont des droits.

Voilà un une idée du partage et de la relation aux animaux qui me semble tout à la fois modeste dans ses actes et, pour autant, si ambitieuse au regard de la façon dont l’humanité traite le vivant. Ce combat du quotidien, ces petites choses de rien qui mises bout à bout construisent un édifice enraciné et solide. Ce chemin est à mes yeux plus séduisant que des slogans scandés avec rage par des militants animalistes se réclamant de l’émancipation et de la libération des animaux. Mais l’émancipation n’est elle pas justement un mouvement spontané et autonome, souverain et transcendant ? On peut vouloir l’émancipation d’un autre que soi mais peut vraiment l’élaborer et la mener à sa place, fut-ce t’il un animal ? Nous pourrions éventuellement les libérés oui mais les libérés de quoi ? Et après ? Se regarder en chien de faïence, tenter de délimiter des espaces propres, un eux et un nous qui ne nous permettrait plus jamais de dire « nous », dans un geste plus anthropocentriste encore que celui qu’il prétend dénoncer, dans un mouvement de repli sur soi, nous privant, les uns et les autres, de la possibilité libre et consentie, d’entrer en relation ? Je comprends et je partage les combats pour l’arrêt de la souffrance animale et pour l’amélioration de leurs conditions de vie, les combats pour que chacun d’entre nous prenne conscience de la richesse des mondes animaux et de la sentience qui est la leur. Je refuse néanmoins les dogmatismes et les mouvements évangélistes qui confondent la morale et la foie et cherchent à imposer une vision qui renferment de nombreux pièges idéologiques. Je pense qu’il faut que chacun se donne des arguments sur ce sujet (comme sur d’autres) pour avoir une voie et une parole audible à opposer à ceux qui souhaitent décider à leurplace. Pour paraphraser Elisabeth de Fontenay, « il faut beaucoup de courage pour le juste milieu contrairement à ce qu’on pense ».

N’avons nous pas, durant des siècles, réussis à vivre dans une relation harmonieuse et raisonnable au sein d’une nature dans laquelle nous ne cherchions pas à nous distinguer mais à laquelle nous participions comme un simple maillon du vivant tout en cherchant à préserver la survie de notre espèce ? Plutôt que de penser avec dogmatisme les animaux, ne faut-il pas repenser un humanisme qui redéfinirai, comme le propose Montaigne, avec douceur et sensibilité, le rapport au vivant et d’envisager autrement la relation ?

L’existence animale, au travers de l’histoire de la pensée occidentale, fut souvent abordée pour marquer une discontinuité entre l’homme et le reste du vivant. D’Aristote à Montaigne, de Descartes à Derrida, il est intéressant de comprendre la nature des débats qui se jouent autour du sujet animal afin d’éclairer nos conceptions sur les animaux et la façon dont nous vivons avec eux. Pour autant, se frayer un chemin à travers l’histoire de la pensée philosophique occidentale, et tenter de définir l’animal, est une tâche tout aussi éprouvante qu’austère. Premièrement, la réflexion sur l’animal, souvent prétexte de penser le propre de l’homme plutôt que de définir l’animal en lui même, est traité, ici et là, de façon sommaire ou partielle de sorte qu’il est difficile de définir une pensée homogène et unifié, propre à un auteur ou un courant de pensée. Ajoutons à cela qu’il est souvent difficile d’amener une discussion féconde lorsqu’il s’agit de penser des conceptualisations aussi tranchées et irréconciliables que nature/culture, objet/sujet, intelligence/instinct, âme/corps…

L’animalité dans la pensée occidentale

A l’échelle de notre histoire, l’Antiquité est en quelque sorte un âge d’or pour les bêtes. Dans le silence des bêtes, Elisabeth de Fontenay (1996), nous raconte comment les hommes offraient des animaux en sacrifice à Dieu, aux dieux, s’accordaient sur leur statut d’êtres animés et avaient pour elles de la considération. Certes, bien des questions demeuraient ouvertes, et les philosophes de ce temps ne manquèrent pas de s’entredéchirer en tentant d’y répondre.

C’est au passage de ce que l’on nomme l’ère chrétienne que la condition de l’animal a radicalement changé. A partir de là les philosophes se sont préoccupés de penser le propre de l’homme et de définir les traits qui le différencient des autres vivants, lesquels sont considérés comme des êtres négligeables. Après Descartes, les courants de pensée philosophiques qui tenterons une réflexion sur l’animal ne sauront s’affranchir du dualisme cartésien ainsi que d’une morale théologique judéo-chrétienne qui instaurera une césure définitive avec le monde animal, toujours à l’œuvre, aujourd’hui, dans la manière dont nous traitons les animaux de rente et le lien que nous entretenons avec la nature.

A la suite de la pensée de Descartes, en parallèle des idées philosophiques des lumières jusqu’à nos jours, la réflexion sur ce que sont les animaux s’est enrichie de l’apport scientifique, à partir de la théorie de l’évolution, des naturalistes puis des éthologistes et psychologues comparatif. Plus proche de nous biologistes, neurobiologistes et psychologues ont ensuite permis des avancées conceptuelles majeures qui ont établi la conscience comme le résultat de processus cérébraux. Depuis janvier 2015 le Code civil français reconnait les animaux comme des «êtres sensibles ». Mais la conscience animale reste toujours l’objet de débats importants dans la communauté scientifique. La période actuelle et la prise de conscience tardive d’un besoin de repenser notre rapport au vivant a permis, ces 20 dernières années, à des idées nouvelles de voir le jour et d’envisager différemment un rapport au vivant, plus soucieux des déséquilibres que nous avons engendrés par une industrialisation massive et un épuisement des ressources naturelles. A l’heure actuelle la profusion des courants animalistes, anti-spécistes ou libertariens, surtout influencés par des philosophes anglo-saxons, T. Regan et P. Singer en première ligne, s’appuyant sur la pensée de Bentham, viennent occuper l’espace médiatique et donnent une ampleur nouvelle au combat pour la reconnaissance des droits des animaux. Cette pensée émergente, dans un mouvement brusque et précipité tente de faire sauter le clivage idéologique existant entre l’homme et l’animal, hérité de la tradition philosophique cartésienne. Mais à trop penser l’animal à la place de l’animal, à trop vouloir faire de son propre combat, celui des autres et inversement, à trop vouloir rabaisser l’homme à son seul rang d’animal, ils n’échappent pas à un anthropocentrisme qui consiste à affirmer, par absolu vérité, que c’est à l’homme de décider du sort de ceux qui n’ont pas accès à la parole. Ne pourrions nous pas, plutôt que de proclamer ce qui est bon pour eux, envisager de les écouter et de trouver des modes de communication pour enrichir les relations avec les animaux domestiques, modifier nos modes de vie, nos habitudes et nos manières de raisonner, réenchanter notre rapport à la nature et au monde sauvage. Entre une conception de l’animal objet et celle de l’animal-homme, anthropomorphisé et personnifié, il est possible, aujourd’hui, de dessiner les contours d’une position médiane qui nous permettrait de définir l’animal non pas dans une pensée réductionnisme mais à partir d’un raisonnement holistique.

Le scepticisme de Montaigne

La douceur sceptique à l’encontre des bêtes se situera à l’opposé de la dureté avec laquelle la plupart des philosophes, avant ou après lui excluront l’animal de notre monde: La lecture des essais de Montaigne, offre une réflexion sur une douceur qui donne matière à s’opposer à la dureté de Descartes ou de Malebranche. Pour Montaigne, en vertu de la ressemblance entre les bêtes et nous, et en dépit des dissemblances, nous savons ce que nous leur devons: elles nous éveillent à la nature, assurent notre ancrage dans le réel, nous rappellent une appartenance commune au monde, celui de la vie et de la sensibilité, qui crée des liens d’obligations mutuelles, un devoir d’humanité. Le scepticisme de Montaigne se traduit aussi par sa manière de penser le rapport entre homme et animal dans la chaîne des êtres. Le plus ou moins qui permet de passer par degré de l’homme à la bête, n’est jamais rapporté à l’unité d’une forme, une norme de l’humanité, qui serait l’homme, ou plus exactement, le classificateur chrétien, européen, blanc, de sexe masculin, d’âge mûr, au profil grec, et qui serait autorisé à s’arroger à ce titre le monopole de la rationalité et de l’universalité. Montaigne n’est pas un humaniste ordinaire. Pour lui, la continuité de l’échelle des êtres, prise dans l’immanence (et non dans la verticalité), est ouverte à la possibilité de toute métamorphoses, et rapportée à un esprit curieux, toujours étonné, en raison de l’incertitude de la raison sur ce qui constitue le propre de l’homme. Montagne écrira même qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête,et qu’il ne préfère pas pour autant les animaux à certaines sous-catégories humaines. Il montre au contraire que l’association entre les bêtes et les hommes dits «sauvages» (au sens d’« inférieurs») est surtout le fait de ceux qui cherchent des prétextes pour assouvir leurs passions prédatrices (cruauté, cupidité), et qui usent de la raison pour s’autoriser à persécuter, massacrer, adoptant ainsi des comportements de bouchers à l’encontre des hommes, sans que le fait de la domination des bêtes et de l’esclavage des hommes ne fasse droit. En tant que sceptique, il nous aide à être attentif à d’autres manières d’être hommes Il montre que la faculté de réfléchir fait hésiter, et que cette hésitation donne seule à la raison son sens plein (sens critique), à la différence d’une intelligence purement instrumentale dans la manipulation du vivant, qui fait de nous des animaux supérieurs, mais déshumanisés, par le fait même de se désintéresser de ce qui n’est pas nous, et qui n’est plus là que pour nous servir.

Dualisme Cartésien

Auteur de la célèbre phrase « Je pense donc je suis », Descartes renforce le rôle de la pensée afin de de définir l’existence du sujet. Selon lui, le sujet est ce qui en nous fait surgir la pensée. Le cogito de Descartes est considéré par de nombreux auteurs comme le point de rupture épistémologique qui interdit toute subjectivité à l’animal. Selon Descartes l’homme serait constitué de deux substances bien distinctes : le corps et l’âme. Le corps correspondrait à la matière, incapable de penser, de raisonner et voué à disparaître au contraire de l’âme qui serait donc cette chose spirituelle qui ferait vivre le corps. On peut ainsi en déduire que le sujet se confond avec l’âme. Ainsi, si un homme pense, c’est qu’il est vêtu d’une âme. L’animal n’ayant pas d’âme, il ne peut penser. Selon la définition cartésienne l’absence de langage de l’animal le prive de réflexivité, c’est à dire d’une possibilité de retour sur son expérience. Le langage impliquant l’existence de la pensée, dit Descartes, en conséquence « les bêtes » ne parlant pas, elles n’ont aucune pensée et si elles en avaient elles s’empresseraient de les exprimer ajoute t’il dans une lettre au marquis de Newcastle. L’homme se distingue donc de l’animal par l’existence de la pensée qui fait de lui un sujet, non soumis à ses passions, c’est à dire à sa nature, comme c’est le cas pour les animaux. Ceux-ci seraient donc mues par l’instinct et un « programme naturel » et n’auraient, en ce sens, pas de libre arbitre. L’homme se distingue aussi, dans la pensée de Descartes par sa perfection et son immortalité par rapport à l’animal, mortel et imparfait. En cela la pensée de Descartes ne peut être totalement comprise sans l’inscrire dans les croyances religieuses de son temps. Bien qu’il compare l’homme à une machine ou à une horloge il lui reconnait cependant des passions et l’envisage comme un être sensible, un objet sensible. D’autres, après lui, comme Malebranche reprendrons la pensée cartésienne en déniant à l’animal cette part de sensibilité présente dans la pensée de Descartes. Bien que remis en question par de nombreux courants philosophiques, ce dualisme du corps et de l’âme ainsi que les discours sur l’absence de sensibilité des animaux irriguent encore inconsciemment notre façon de penser notre relation aux animaux et la façon dont nous abordons les sciences humaines. Florence Burgat, à ce sujet, montre comment les évolutionnistes, tentant de surmonter le clivage, cherchent à animaliser l’homme et ce faisant ramènent parfois l’animal à sa seule matière biologique. Les premiers pas d’une discipline nouvelle, l’éthologie, ne saura se départir de cette opposition binaire entre la nature et la culture.

L’inconscient chez Spinoza et Freud

Spinoza, à l’opposé de Descartes pour lequel la volonté et la liberté de l’homme sont infinies, dira (bien avant Freud) que les hommes agissent sous l’influence de leurs désirs (impulsion, appétits). Pour l’homme le libre-arbitre est une illusion liée au fonctionnement de la conscience. Sachant que nous ne sommes pas libres, dit en substance Spinoza, nous pouvons aspirer à le devenir. De cette façon même s’il ne définit pas une continuité entre l’homme et l’animal, il affirme, en cette absence de libre-arbitre, que la distance qui sépare l’animal de l’homme se réduit de quelques unités. Freud reprenant la pensée de Spinoza, dira que l’existence de l’inconscient ruine toute prétention à un statut d’exception. Celui si dira que la découverte de l’inconscient associé à l’héliocentrisme de Copernic et la théorie de l’évolution de Darwin représente les trois blessures narcissiques de l’homme et de sa posture anthropocentrique. Toutefois, à cette époque, la condition humaine diffère toujours de la condition animale, une des raison de cette différence résidant dans l’affirmation d’une conscience humaine et son absence supposée chez les animaux.

La théorie de l’évolution de Darwin

En effet l’un des tournants majeur dans l’histoire de la pensée occidentale sera la découverte de la théorie de l’évolution par Darwin. Attribuer une vie mentale aux animaux fera désormais figure de nécessité scientifique. Non seulement Darwin prend en compte les distinctions existant entre les espèces au sein du genre animal, mais il considère aussi que « la différence d’intelligence entre hommes et animaux les plus évolués, aussi grande soit-elle, est une différence de degré, et non de nature »

A la suite de Darwin on comprendra qu’il ne faut plus parler de l’animal au singulier mais des animaux, ou comme le suggère Derrida, des animots, qui rappelle ainsi que le mot dont nous nous servons pour le qualifier est un concept qui ne saurait entièrement le définir, entretenu savamment par des philosophes dans une posture exclusivement anthropocentrique.

La question qui se pose alors ne pourrait-elle pas s’énoncer comme cela: la subjectivité humaine ne nous empêche t’elle pas d’atteindre l’animal, de le comprendre et de saisir qui il est réellement ? Notre subjectivité ne nous empêche-t’elle pas de saisir la subjectivité d’un autre que soit ? Ne nous est-il pas impossible de sortir de notre monde pour appréhender le leur ? De nombreux philosophes contemporains comme G. Bataille ou E. de Fontenay ont ainsi pensé qu’il était souvent nécessaire de sortir de la philosophie pour atteindre l’animal. « Rien en ce sens , ne nous est plus fermé que cette vie animale dont nous sommes issus ». Georges Bataille, œuvres complètes. Les premières réponses viendront néanmoins de la phénoménologie et de l’éthologie du début du 20 ième siècle.

Sentience, souffrance et compassion, Rousseau, Bentham

« Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n’est nullement une raison pour laquelle un être humain devrait être abandonné sans recours au caprice d’un tourmenteur. Il est possible qu’on reconnaisse un jour que le nombre de jambes, la pilosité de la peau, ou la terminaison de l’os sacrum, sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sensible au même destin. Quel autre [critère] devrait tracer la ligne infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de discourir ? Mais un cheval ou un chien adulte est, au-delà de toute comparaison, un animal plus raisonnable, mais aussi plus susceptible de relations sociales, qu’un nourrisson d’un jour ou d’une semaine, ou même d’un mois. Mais supposons que la situation ait été différente, qu’en résulterait-il ? La question n’est pas “peuvent-ils raisonner ?”, ni “peuvent-ils parler ?”, mais “peuvent-ils souffrir ?” J. Bentham

Le XVIII ième siècle réhabilite la sensibilité entrevue chez Montaigne. C’est à Rousseau que l’on doit la notion de compassion et de responsabilité envers les animaux. L’animal n’est pas reconnu comme un être de conscience, un être de conscience mais un être sensible qui ressent et souffre. Selon Rousseau le droit doit s’appliquer dans le cas où on maltraite inutilement l’animal. C’est à ce courant de pensée que se réfèrent aujourd’hui la plupart des animalistes qui défendent l’antispécisme. C’est le début de la réflexion sur l’éthique animale.

Ce qui est pour Rousseau à la racine du droit le plus primitif deviendra sous la plume de Schopenhauer l’expérience fondatrice de la morale. La pitié (ou compassion) est indissociable de la sensibilité, puisqu’il faut que soit donnée à voir la souffrance, dans la multiplicité des manifestations qu’elle revêt en fonction des espèces et des individus, pour que naisse chez celui qui en est le témoin ce sentiment profond d’identification.

La phénoménologie d’Husserl et Merleau Ponty

La phénoménologie est la philosophie qui écarte toute interprétation abstraite pour se limiter à la description et à l’analyse des seuls phénomènes perçus. C’est un méthode qui propose un retour aux choses mêmes, à leur signification, en s’en tenant non aux mots, mais aux actes où se dévoile leur présence. Le corps objectivé… ce qu’on partage avec les animaux au cœur de la relation.

Selon lui les animaux sont inscrits dans les strates les plus archaîques de notre psychisme. Freud rattachera le psychisme, lui aussi, à ce monde animal et s’inspirera des travaux de Husserl. Celui-ci établira donc une continuité psychique entre les humains et les animaux qui ont selon lui tout autant une vie de conscience qu’une âme. Il est le premier à faire une distinction en parlant d’animaux supérieurs, sans qu’on sache exactement la définir, à qui il prête un certain égo et une intentionnalité.

Husserl s’opposera à la vision phénoménologique de Heidegger. Pour Husserl, l’animal fait partie de la problématique de l’intersubjectivité parce que les animaux nous sont donnés comme des «autres Moi », des êtres qui ont eux aussi leur vie de conscience, tandis que, pour Heidegger, « l’animal n’a pas de monde » [Welt], ni même de monde ambiant. Selon lui, les animaux sont bien des autres Moi, des êtres existant à la manière des personnes avec leur vie de conscience et leur monde environnant d’emblée partagé avec d’autres. Certes, cette vie de conscience est sans doute vécue d’une manière différente, non réflexive, de sorte que les animaux n’ont jamais la position d’observateurs de leur propre vie, qui leur permet de juger de son cours et d’épouser ce que Husserl appelle une « vocation ».

M. Merleau Ponty affirmera que l’animal a non seulement un monde mais aussi une culture. Il sera celui qui interrogera à ce point la notion de conscience animale et cherchera à la définir le mieux possible. Il établira chez les animaux ce qu’il nomme une conscience de soi, faisant d’eux des sujets.

Ethologie

« En réaction contre le béhaviorisme, l’éthologie, dont Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch furent les pionniers, prôna – c’est une première étape – l’observation des animaux dans leur milieu naturel, privilégiant systématiquement les études de terrain. Si ces derniers ont un comportement porteur de sens, il est indissociable du contexte dans lequel il s’élabore. Aussi, l’introduction de la notion husserlienne d’intentionnalité par Jakob von Uexküll, dans les années 1930, mérite d’être soulignée : elle permet de faire valoir que dans le monde animal aussi les phénomènes sont vécus et n’apparaissent pas dans une extériorité autonome. C’est de manière globale que la signification des objets perçus est donnée : voir un objet, c’est le doter d’une signification, le reconnaître en tant qu’élément occupant une place dans un ensemble signifiant, en relation avec d’autres éléments de ce tout. L’organisme et le milieu ne constituent pas deux éléments extérieurs l’un à l’autre, mais un système de relations étroites. » Florence Burgat

De son côté, Jakob von Uexküll élabore, dans Mondes animaux et monde humain (1934), le concept d’Umwelt : ce monde environnant est en même temps un monde propre à chaque espèce. La distinction entre les animaux dits supérieurs et ceux dits inférieurs permet d’affiner la compréhension de cette notion : les premiers sont dotés d’un organisme qui leur offre la possibilité d’intérioriser leur monde extérieur (Uexküll nomme cette reproduction le Gegenwelt, « monde opposé » ou « monde réplique »). Ce monde intériorisé comprend à son tour un Merkwelt (« monde de la perception », ou encore « monde caractéristique ») et un Wirkwelt (« monde de l’action », ou « monde agi »). Par ailleurs, chaque Umwelt possède une temporalité propre, un Merkzeit. En revanche, le monde des animaux inférieurs, comme l’oursin, a pour caractéristique de ne laisser entrer en lui que les éléments vitaux. Ces animaux forment avec leur monde une cohésion telle que l’on peut parler d’ensemble fermé. La structure de monde propre aux animaux dits supérieurs indique un degré de perception élaboré et un entourage riche d’objets autres que ceux nécessaires aux échanges biologiques : l’air n’est pas seulement pour eux l’élément qui permet de respirer, l’eau de se désaltérer, la chaleur du soleil de synthétiser la vitamine D… D’autres types de relations (de jeu, de plaisir) existent avec ces éléments, et il semble bien que pour l’animal aussi il y ait des paysages et non un simple environnement constitué d’objets seulement utiles à la survie. Il existe, pour les animaux aussi, des choses désirables et qui ne servent à rien.

Élève de Jakob von Uexküll, Frederik Buytendijk, auteur de plusieurs essais de psychologie animale et de psychologie comparée parus en Allemagne durant la première moitié du XXe siècle, choisit la démarche phénoménologique pour étudier les relations que l’animal entretient avec ce qui l’entoure. Il attribut à l’animal un sentiment de soi et une intentionnalité et compense à penser le rapport au temps de l’animal. selon lui l’animal, ne serait-ce que que par son action, est comme l’homme en lien avec son passé et son avenir. Dans l’homme et l’animal il insiste sur la liberté individuelle des animaux supérieurs.

L’anthropologie, Par delà nature et culture

Le travail anthropologique de Descola nous engage à aller voir comment vivent certains peuples amérindiens pour comprendre que le sens que nous donnons au monde peut être différent du naturalisme. Dans ses études ethnographiques des Achuars, peuple Amérindien, on se dit que, peut être, le lien primitif qui nous unissait à la nature était peut être proche de celui des Achuar. Descola nous raconte comment les femmes Achuar traitent les plantes comme si c’étaient des enfants. Et les chasseurs traitent les animaux comme si c’étaient leurs beaux-frères. Dans cette société, ce ne sont pas les classes sociales ou les catégories de métiers qui distinguent les êtres entre eux, mais leurs liens de parenté, et plus précisément la distinction entre parents consanguins et parents par alliance. Les plantes sont traitées comme des consanguins (des enfants), alors que les animaux chassés par les hommes sont des beaux-frères. Philippe Descola raconte comment la vie avec les achuar, la relation aux plantes et aux animaux ont bouleversé sa conception de la culture: « ce que j’ai d’abord considéré comme une croyance était en réalité une manière d’être au monde, qui se combinait avec des savoir-faire techniques, agronomique, botanique, éthologique très élaborés. » Pour cette société de chasseurs et d’horticulteurs forestiers, bien des êtres que nous appelons naturels, notamment les plantes cultivées et la plupart des animaux, sont dotés d’attributs identiques à ceux des humains. Ces attributs, on les résume par un prédicat particulier qui est la possession d’une âme. Il faut entendre par là une faculté qui range certains non-humains parmi les « personnes » en ce qu’elle leur assure la conscience réflexive et l’intentionnalité, qu’elle les rend capables d’éprouver des émotions et leur permet d’échanger des messages avec leurs pairs comme avec les membres d’autres espèces, dont les hommes. Cette communication qui ne passe pas par le langage est rendue possible par l’aptitude reconnue à l’âme de véhiculer sans médiation sonore des pensées et des désirs vers l’âme d’un destinataire, modifiant ainsi, parfois à l’insu de celui-ci, son état d’esprit et son comportement. Les humains disposent à cet effet d’une vaste gamme d’incantations magiques, grâce auxquelles ils peuvent agir à distance sur leurs congénères, mais aussi sur les plantes et les animaux, comme sur les esprits et sur certains artefacts.
Dans l’esprit des Achuar, le savoir-faire technique est donc indissociable de la capacité à créer un milieu intersubjectif où s’épanouissent des rapports réglés de personne à personne : entre le chasseur, les animaux et les esprits maîtres du gibier, et entre les femmes, les plantes du jardin et le personnage mythique qui a engendré les espèces cultivées et qui continue jusqu’à présent d’assurer leur vitalité. Loin de se réduire à des lieux prosaïques pourvoyeurs de pitance, la forêt et les essarts de culture constituent les théâtres d’une sociabilité subtile où, jour après jour, l’on vient amadouer des êtres que seuls la diversité des apparences et le défaut de langage distinguent en vérité des humains.

Ainsi entendus, l’animisme, le totémisme et l’analogisme constituent ce que l’on pourrait appeler des modes d’identification, c’est-à-dire des manières de définir les frontières de soi et d’autrui telles qu’elles s’expriment dans la conceptualisation et le traitement des humains et des non-humains.

Empathie comme accès à l’animal

L’empathie est un facteur important pour changer nos rapports à l’animal, c’est elle qui entraine nos jugements moraux et notre capacité à appréhender l’autre fut-ce t’il différent de nous. Ce concept a été développé par les philosophes anglais, en particulier Hume, puis repris par les primatologues et les neureulogues. elle est un héritage de notre évolution et dépend, en partie, acquise au cours de notre éducation. Ce sont les neurones miroirs qui déclenchent le processus d’empathie. Sans empathie, impossible d’entrer dans le monde de l’autre. Les humains possèdent cette compétence biologique mais l’on sait aujourd’hui que de nombreux animaux la possède également. On connait tous ces histoires de grands singes ou d’éléphants qui font preuve de beaucoup de solidarité au sein du groupe social.

On sait aujourd’hui depuis poresky que la relation à l’animal influence le développement social et la capacité d’empathie des enfants. A l’échelle de la société, il faudrait donc développer l’empathie à l’égard des animaux afin de changer le regard que nous portons sur eux et sur nos semblables…

Et après ?

L’animal n’est pas un objet passif, il est sujet, capable de dire je, d’organiser sa vie et de faire preuve d’un libre arbitre, ressent la douleur, souffre… Pour les animaux supérieurs (dits « supérieurs), on le sait aujourd’hui, certains ont une mémoire autobiographique, ils peuvent se représenter le présent et le futur, font preuve d’altruisme et d’empathie, une métacognition, font preuve de créativité….

Il faut ainsi que la dimension individuelle et subjective des animaux se développe toujours plus afin que nous ayons une connaissance plus grande de qui ils sont. Il faut dans le même temps que nous fassions à l’échelle de la société, un pas de côté, pour nous détourner d’un regard anthropocentrique et chercher à préserver l’extraordinaire richesse du vivant et faire évoluer le droit. Là encore veillons à ce que d’autres que nous ne décident à notre place.

ARRICASTRES Arnaud

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